Recommandations à propos de l’élaboration d’une stratégie accessibilité à un horizon à 15 ans.
Mise en contexte
Le Conseil a été sollicité par le cabinet du Ministre Coppieters, afin de remettre des recommandations au sujet de l’élaboration d’une stratégie accessibilité à un horizon de 15 ans. Cette démarche ne peut qu’être saluée chaleureusement, car elle rentre dans les démarches d’handistreaming et de collaboration avec les acteurs concernés pour l’élaboration d’un décret ayant un impact important sur les personnes en situation de handicap.
En effet, le CAWaB est également sollicité dans la construction de ce texte pour l’aspect technique, notamment au niveau des référentiels.
Le but de ce décret est donc d’atteindre un niveau suffisant en matière d’accessibilité pour tous les acteurs concernés. Cependant, le Conseil insiste sur le fait que l’accessibilité est plurielle et concerne tous les aspects de la vie quotidienne, bien plus que les seuls accès aux bâtiments, services, informations et événements. Ces aspects sont bien sûr essentiels, mais il s’agit aussi d’obtenir des logements, transports, emplois et formations accessibles à tous. De plus, les lieux scolaires et sportifs devraient également être concernés. Des discussions conjointes avec le Conseil consultatif des personnes en situation de handicap en Fédération Wallonie-Bruxelles devront avoir lieu pour coordonner les besoins et recommandations pour ces matières spécifiques.
C’est pourquoi la démarche d’handistreaming est essentielle : la question du handicap touche toutes les matières, il est donc nécessaire de réfléchir en amont aux conséquences et difficultés du public en faisant appel aux experts et services conseils disponibles. Cette démarche est d’autant plus importante que le droit à une pleine inclusion dans la société des personnes en situation de handicap est inscrit dans l’article 22ter de la Constitution belge.[1]
Il faut également garder en mémoire que les normes d’accessibilité ne concernent pas uniquement l’accessibilité physique, mais aussi le handicap sensoriel et intellectuel. Il ne suffit donc pas d’introduire une obligation d’installation d’une rampe d’accès à l’entrée des bâtiments pour que ceux-ci soient entièrement accessibles.
Toute nouvelle norme d’accessibilité doit faire l’objet d’une évaluation tant au niveau de sa pertinence, de son évolution, qu’au niveau de sa mise en œuvre concrète. Il importe dès lors de prévoir des procédures d’évaluation, à réaliser de manière régulière. Il importe également d’élaborer un mécanisme de certification obligatoire, qui devrait permettre de mesurer l’intégration effective des normes d’accessibilité par les opérateurs public ou privés concernés.
Il est aussi temps d’introduire la notion de sanction dans les textes. Il ne suffit plus d’exprimer des intentions : aucune obligation énoncée ne doit être introduite sans une sanction dissuasive en cas de non-respect.
Si la sanction est indispensable à l’effectivité de l’accessibilité, elle doit également s’accompagner de mesures incitatives positives, comme des subventions ou des avantages fiscaux, destinés à soutenir les actions volontaires de mise en accessibilité.
Enfin, le Conseil invite le cabinet à se renseigner sur la pratique du Luxembourg, qui a adopté depuis le 7 janvier 2022 une loi portant sur l’accessibilité à tous des lieux ouverts au public, des voies publiques et des bâtiments d’habitation collectifs. La transposition de ces bonnes pratiques luxembourgeoises pourrait ainsi être étudiée lors de l’élaboration de ce décret.
Le Conseil tient également à insister sur un autre aspect. Un décret accessibilité n’est pas seulement un outil supplémentaire en faveur des personnes en situation de handicap, c’est un outil fondamental pour amener un réel changement sociétal vers une société pleinement inclusive, où le handicap n’est plus perçu comme un problème, mais comme une réalité de vie avec les autres. Aboutir à ce changement implique une sensibilisation accrue des publics, une formation initiale et continue de tous les professionnels. L’objectif est que l’accessibilité ne soit plus perçue comme une contrainte supplémentaire, mais comme un standard de qualité, comme une plus-value pour l’ensemble de la population.
Ce projet de mise en place d’un décret accessibilité est ambitieux, nécessaire, et largement attendu par le secteur. Toutes les analyses et recommandations ne sauraient être précises en si peu de temps, c’est pourquoi le Conseil a l’ambition de se réunir régulièrement en présence d’experts et des membres du Conseil en Fédération Wallonie-Bruxelles. Les résultats de ses rencontres seront alors transmis au cabinet du Ministre afin d’alimenter les recherches et discussions.
Recommandations
Pour plus de clarté, le document est divisé en recommandations suivant les différents types d’accessibilité. Le Conseil a également mis en évidence les recommandations formulées par le Comité de l’ONU pour les droits des personnes en situation de handicap pour la Belgique en rapport à la matière abordée.
- Accessibilité des bâtiments
Encore une fois, le Conseil rappelle que la notion d’accessibilité n’est pas restrictive à celle de mobilité. Toutes les situations de handicap doivent entrer en considération lors de l’élaboration d’un décret visant une meilleure accessibilité.
Le Conseil tient également à souligner que la question de l’accessibilité des bâtiments ne se limite pas aux seuls bâtiments publics, elle concerne également tous les bâtiments privés accessibles au public (lieux culturels, lieux médicaux, commerces, etc…).
Le Conseil insiste sur la formation des étudiants sur les matières d’accessibilité. Il est en effet constaté que certains aspects de l’accessibilité, notamment l’aspect cognitif, sont souvent inconnus des futurs ingénieurs.
Le CCWPSH rejoint les recommandations effectuées par le Comité ONU des droits des personnes en situation de handicap, qui insiste sur la nécessité de compléter les normes d’accessibilité existantes pour les bâtiments par des normes garantissant l’accès aux personnes souffrant de tous les types de handicap (visuels, auditifs, intellectuels et/ou psychosociaux). Les recommandations appuient également sur la nécessité d’étendre l'applicabilité des normes d'accessibilité pour les bâtiments aux bâtiments existants, publics et privés, indépendamment des demandes de permis de construire, et élaborer un plan de mise en œuvre assorti d'un calendrier et d'un suivi précis.
Enfin, le Comité ONU a demandé à intégrer des mesures correctrices en cas de non-conformité à des normes d’accessibilité lors de l’achèvement de la construction d’un bâtiment neuf.
- Accessibilité de l’information
L’accessibilité de l’information est un droit essentiel sur lequel le Conseil tient à insister dans l’élaboration de ce décret.
Il demande ainsi la garantie du respect de s’exprimer dans sa langue, et rejoint la recommandation ONU qui demande l’accélération de l’adoption d’une législation visant à accroitre le soutien financier aux services d’interprétation en langue des signes et rendre la profession d’interprète plus attrayante.
Le Conseil constate qu’actuellement l’interprétariat en langue des signes est assuré aussi bien par des personnes diplômées, spécialement formées donc pour cette activité, que par des personnes ne disposant d’aucun diplôme spécifique. C’est là un problème important pour le subventionnement des services d’interprétation en langue des signes, puisque la qualité du service fourni peut être très variable. Il n’existe pas non plus de centralisation des plaintes en matière d’interprétation en langue des signes, ni de procédure uniforme de dépôt de plainte. Cette situation laisse les entreprises et les institutions démunis face aux réclamations par rapport à l’interprétation en langue des signes qu’ils ont mise en place.
Par conséquent, il existe un décalage important entre l’offre et la demande en matière d’interprétation en langue des signes. Cependant, aucun inventaire de données précises à ce sujet n’est disponible en Région Wallonne. Or, tout événement organisé devrait pouvoir bénéficier d’une interprétation en langue des signes. Malheureusement, le manque de disponibilité des interprètes en langues de signes amène beaucoup d’organisateurs à ne pas organiser a priori une interprétation en langue des signes, ce qui implique une démarche personnelle de la personne sourde ou malentendante intéressée par un sujet abordé lors d’un événement quelconque en vue d’obtenir cette interprétation en langue des signes. En d’autres termes, le manque d’offre d’interprétation en langue des signes pénalise les personnes sourdes ou malentendantes, et les contraint à effectuer des démarches pour tenter d’obtenir cette traduction.
De plus, le Conseil demande un développement plus large de l’audiodescription.
Dans une mesure plus large, le Conseil demande de définir un cadre légal pour imposer l’accessibilité de l’information et de la communication des organismes publics et d’intérêt général. Cela signifie également définir, en concertation avec le secteur, les critères d’accessibilité à respecter (en termes de normes de contrastes, d’accessibilité numérique, de sous-titrage, de traduction en langue des signes et Facile A Lire et à Comprendre…).
Enfin, les recommandations ONU pointent aussi la nécessité de mise en œuvre de la directive européenne sur l’accessibilité des sites web et des applications mobiles des organismes du secteur public à tous les niveaux de pouvoir. Il est également question d’étendre l’obligation au secteur privé, et de prévoir des recours en cas de non-conformité.
- Accessibilité de l’emploi
Le CCWPSH tient à rappeler que l’accessibilité de l’infrastructure n’est pas suffisante pour favoriser l’inclusion des personnes en situation de handicap dans le domaine de l’accès à l’emploi. D’autres facteurs entrent en ligne de compte.
Ainsi, il faut associer dans ce cadre la mobilité avec les plans logement. En effet, les zonings ne sont pas ou peu desservis par les transports en commun, ce qui constitue un obstacle réel pour la mise à l’emploi des personnes en situation de handicap.
Ensuite, le Conseil insiste sur la question de la mise et maintien à l’emploi. Il est primordial de rendre accessible et de développer l’offre existante de formations qualifiantes proposées aux adultes dans l’aide à l’emploi. Cette offre, souvent pauvre en termes de contenus et de choix de formations disponibles, mériterait également d’être actualisée pour correspondre aux besoins actuels.
De plus, même s’il ne s’agit pas d’une compétence régionale, le Conseil insiste sur l’importance de l’accessibilité de l’enseignement, indispensable pour une amélioration des problématiques actuelles. Cette accessibilité de l’enseignement est étroitement liée à celle de l’accessibilité de l’emploi, mais aussi aux domaines de la mobilité (notamment pour la question du transport scolaire) et de la formation (à la fois des personnes et des professionnels). Ces questions sont fondamentales pour assurer une prise en compte plus spontanée des handicaps dans la société de demain.
- Accessibilité des services
En matière d’accessibilité des services, le Conseil émet plusieurs recommandations.
Tout d’abord, il demande à garantir l’accès pour les personnes présentant un risque de fracture numérique à des guichets physiques pour toute démarche administrative. Il demande aussi qu’un point central d’informations soit établi, et qu’une bonne répartition géographique des services soit disponible sur tout le territoire wallon, quel que soit le lieu d’habitation (rural ou urbain).
Il rejoint les recommandations ONU à ce sujet, qui demandent à fournir un cadre juridique obligeant les entités publiques à proposer les informations dans des formats accessibles (Easy Read, langage clair, sous-titrage, langue des signes, braille, description audio, moyens de communication tactiles, augmentatifs et alternatifs).
Il demande ensuite que des actions soient menées au sujet de l’accès au vote et de la participation à la vie politique, ce qui est peu présent actuellement. Cela rejoint les recommandations ONU à ce sujet, qui demandent la disponibilité de programmes politiques accessibles, le renforcement de mesures assurant l’accessibilité du droit de vote, notamment en termes d’accessibilité physique. Par ailleurs, l’accessibilité à la vie politique des personnes sourdes est fortement entravée par le manque de solutions d’accessibilité (transcription, etc…) et d’interprétation en langue des signes au sens large, ce qui contribue à l’invisibilité de cette catégorie de la population, quel que soit le type de surdité et le profil communicationnel de la personne sourde.
L’accessibilité des services est primordiale pour garantir à toute personne en situation de handicap, victime ou témoin de violence, de pouvoir déposer une plainte en toute confiance. Le Conseil propose également d’établir un cadastre et de mettre en place un dispositif à propos de la qualité des services (par exemple un centre de plaintes, une ligne d’écoute, un organisme de contrôle…) Cela permettrait ainsi l’évaluation des violences, le suivi et l’accompagnement des victimes en toute transparence.
Ce dernier point rejoint les recommandations ONU, qui demandent à veiller que les personnes en situation de handicap reçoivent des informations accessibles sur la manière d’éviter, de reconnaitre et de signaler les cas de violence ; et que les victimes aient accès à des mécanismes de plainte indépendants et à des voies de recours appropriées. Il est aussi demandé que les services destinés aux victimes de violences fondées sur le genre, y compris les centres d'aide et d'assistance aux victimes d'agressions sexuelles et les centres d'hébergement d'urgence, soient accessibles aux femmes et aux filles handicapées, notamment par l'accessibilité des bâtiments et des installations, l'accessibilité des informations et de la communication, et la fourniture d'un soutien et d'une assistance liés au handicap.
- Mobilité
Le Conseil tient à formuler plusieurs recommandations en matière de mobilité. Il demande de fixer règlementairement une échéance pour la mise en accessibilité de la chaine du déplacement. Pour cela, il faut programmer la mise en accessibilité progressive de la voirie piétonne et du système de transport dans son ensemble : arrêts de transport en commun, matériel roulant, formation du personnel et services d’assistance, information à quai et à bord, achat de tickets,…
Il est également nécessaire de pouvoir proposer une alternative au déplacement à toute personne qui rencontre des obstacles ou qui ne peut accéder au réseau de transport régulier, faute d’accessibilité.
Enfin, le transport scolaire a fait l’objet d’une note détaillée de la part du Conseil, et doit pouvoir être optimiser en termes de réduction de durée du transport, amélioration de la qualité et proposition d’alternatives. Les témoignages dénonçant le temps trop long du transport affluent, sans aucune réponse proposée. Il est désormais urgent de trouver une solution.
- Accessibilité des soins de santé
Le Comité ONU a rédigé plusieurs recommandations en matière d’accessibilité en soins de santé, qui sont appuyées par le Conseil. Tout d’abord la nécessité de fournir des informations et une éducation adaptées à l’âge et au sexe des personnes en situation de handicap sur les matières de santé et de droits en matière de sexualité et de procréation.
Ensuite, les recommandations demandent à étendre les normes d’accessibilité obligatoires à toutes les infrastructures médicales et paramédicales et à tous les services de santé.
Il est également question d’établir un cadre afin de garantir le consentement libre et éclairé des personnes en situation de handicap concernant toute procédure ou intervention médicale. Il s’agit notamment de fournir toutes les informations relatives aux soins de santé et aux traitements dans des formats accessibles.
Des informations dans des formats accessibles sont également indispensables dans le cadre de la promotion de la santé et de la prévention des maladies. C’est là un enjeu majeur pour améliorer la santé des personnes en situation de handicap. Le Conseil a par ailleurs été consulté sur le plan wallon de promotion de la santé (en abrégé WAPPS), et remettra un avis séparé plus complet sur ce sujet précis.
Enfin, le Conseil demande la mise en place et le financement au sein des hôpitaux d’une équipe chargée spécifiquement de l’accompagnement des personnes en situation de handicap, de l’accueil jusqu’à la consultation ou l’hospitalisation, afin de répondre à ses besoins spécifiques. Le service Welcome de l’hôpital de la Citadelle à Liège peut ainsi être utilisé comme exemple de bonne pratique en la matière.
[1] « Chaque personne en situation de handicap a le droit a une pleine inclusion dans la société, y compris le droit à des aménagements raisonnables ».