Avant-projet de décret modifiant le Code wallon de l’action sociale et de la santé relatif au carnet de vaccination électronique « Vaccicard ».
Mise en Contexte
Le Conseil consultatif wallon des personnes en situation de handicap est consulté par le Cabinet COPPIETERS, par l’intermédiaire de l’AVIQ, concernant un avant-projet de décret modifiant le Code wallon de l’action sociale et de la santé relatif au carnet de vaccination électronique « Vaccicard ».
L’objectif du texte est de créer une base de données centralisée de toutes les vaccinations opérées sur le territoire wallon (plus exactement sur le territoire de langue française, c’est-à-dire la région wallonne sans les communes germanophones).
Concrètement, le vaccinateur (personne qui vaccine) enregistre les données de vaccination sur une plateforme électronique.
Cette plateforme électronique peut être consultée par :
- Le patient, qui peut ainsi obtenir un bilan vaccinal et un certificat électronique de vaccination ;
- Les professionnels de soins de santé, qui peuvent ainsi disposer d’un bilan vaccinal de leurs patients ;
- Les professionnels de soins, qui peuvent ainsi disposer d’un bilan vaccinal des personnes auxquelles ils apportent de l’aide ou des soins.
Le vaccinateur doit aussi consulter la plate-forme avant de procéder à une vaccination.
Les accès des professionnels de soins de santé, des professionnels de soins et des vaccinateurs ne sont autorisés qu’avec le consentement éclairé du patient.
Les données de vaccination seront transmises à l’AVIQ de manière anonymisée ou pseudonymisée, afin que l’AVIQ puisse réaliser des études et guider les politiques régionales de santé.
Les données de vaccination accessibles par la plateforme sont hébergées dans le coffre-fort sanitaire wallon, qui existe déjà et est géré par le Réseau Santé Wallon.
Une telle base de données vaccinales existe depuis de nombreuses années en Flandre. Cette base de données flamande a été utilisée par l’ensemble de la Belgique lors des campagnes de vaccination contre la covid. Chaque entité fédérée doit rapatrier les données la concernant au plus tard pour début janvier 2026. Le texte soumis à avis est un préalable obligé à la reprise par la Région wallonne des données de vaccination covid des résidents wallons.
Avis
PHILOSOPHIE GÉNÉRALE DU PROJET
Le Conseil approuve la volonté du Gouvernement de doter la Région wallonne d’une base de données de toutes les vaccinations des résidents de la région de langue française.
Une telle base de données permettra à chacun de disposer rapidement de son bilan vaccinal, et devrait dès lors faciliter la lutte contre un certain nombre de maladies potentiellement mortelles. La bonne santé de chacune et chacun, en ce compris les personnes en situation de handicap, est une préoccupation constante du Conseil. Le Conseil appuie donc la volonté gouvernementale de protéger les personnes contre les maladies. C’est là un enjeu important de santé publique.
Le Conseil estime également important que les données de vaccination contre la covid puissent être conservées, et comprend la nécessité de disposer d’un texte décrétal pour récupérer ces données.
PLURALITÉ DES BASES DE DONNÉES
En séance, les représentants de l’AVIQ ont expliqué que des accords de coopération devront être conclus avec l’Etat fédéral et les autres entités fédérées afin d’organiser une interconnexion et un échange de données entre toutes les bases de données. L’objectif de ces accords est que toute personne puisse disposer d’un bilan vaccinal complet en son lieu de résidence, même en cas de changement de résidence, et quel que soit le lieu de vaccination.
Pour les francophones, la situation est également complexifiée par le fait que la vaccination des jeunes relève de la compétence de la Fédération Wallonie-Bruxelles, alors que la vaccination des adultes relève de la compétence de la Région wallonne.
Pour autant que ces accords de coopération soient conclus, le Conseil constate que cette complexité ne devrait pas impacter les personnes en situation de handicap, puisqu’elles disposeraient d’un accès unique à l’ensemble de leurs données vaccinales.
Le Conseil estime toutefois que le monde politique n’a pas pris toute la mesure de l’expérience générée par la crise sanitaire. Cette crise a démontré que les problèmes sanitaires ne connaissent pas de frontière, et qu’une base de données unique pour toutes les vaccinations était une solution adéquate. Il déplore donc le manque de volonté politique pour créer une base de données unique pour tous les résidents belges. La création de multiples bases de données, avec des échanges d’informations entre elles, représente un coût budgétaire non négligeable, et un risque accru par rapport à la sécurité informatique des données enregistrées. Le Conseil plaide pour qu’une base de données unique puisse à terme remplacer les diverses bases de données existantes ou en constitution, non seulement au niveau belge, mais également au niveau européen.
PROTECTION DES DONNÉES À CARACTÈRE PERSONNEL
Le Conseil s’inquiète de la protection des données à caractère personnel des personnes en situation de handicap, d’autant plus que le commentaire des articles se révèle particulièrement succinct sur ce point.
Plus particulièrement, le Conseil constate que le texte donne accès aux données vaccinales des personnes en situation de handicap à un grand nombre de personnes, sans justifier des raisons pour lesquelles ces accès sont octroyés.
Le Conseil avait interrogé l’AVIQ sur cette question et a obtenu la réponse suivante : l’Autorité de protection des données est également interrogée sur le texte, lequel sera adapté en fonction de ses remarques.
Cette réponse est totalement insatisfaisante, et ne répond pas aux inquiétudes du Conseil. Les personnes en situation de handicap sont légitimement en droit de connaître les raisons pour lesquelles telle ou telle personne peut avoir accès à leurs données vaccinales. La protection des données à caractère personnel ne relève pas exclusivement de l’Autorité de protection des données, c’est pour chacun, en ce compris les personnes en situation de handicap, un droit fondamental au respect de la vie privée.
En séance, les représentants de l’AVIQ ont expliqué que, dans un premier temps, seuls les médecins, infirmiers et pharmaciens auraient accès aux données vaccinales, conformément à un protocole d’accord entre l’Etat fédéral et les entités fédérées. Une telle restriction ne figure pas dans le texte de l’avant-projet de décret, qui accorde, dès son entrée en vigueur, un accès large aux données vaccinales. Par ailleurs, si une telle restriction figure bien dans un protocole d’accord (dont le Conseil ne dispose pas), il convient de rappeler que seul un accord de coopération en bonne et due forme a valeur juridique. En outre, les restrictions d’accès prévues par un accord de coopération ne concerneraient que les échanges de données entre entités parties, et non les données vaccinales propres à la Région wallonne.
En conclusion, si la volonté est bien de limiter dans un premier temps l’accès aux données vaccinales exclusivement aux médecins, infirmiers et pharmaciens, il convient de supprimer tous les autres accès prévus dans le texte. A défaut, chaque accès octroyé doit être clairement justifié.
NOTION DE PROFESSIONNEL DE SOINS
L’avant-projet de décret définit le professionnel de soins comme étant « tout professionnel autre que le professionnel de soins de santé, et tout aidant proche, aidant qualifié ou toute autre personne qui a une relation d'aide et qui fournit des soins à des personnes » (voir futur article 47/16/2, 5° du Code wallon de l’action sociale et de la santé). Ces « professionnels de soins » ont accès aux données de vaccination.
Comme indiqué ci-dessus sous le titre « Protection des données à caractère personnel », le Conseil ne perçoit pas la justification de l’accès octroyé à ces professionnels de soins.
Les représentants de l’AVIQ, après s’être ici aussi retranchés derrière l’avis de l’Autorité de protection des données, ont fourni l’explication suivante : « Ainsi, les particuliers qui s’occupent de la personne en situation de handicap sont autorisés à avoir accès à ses données de vaccination dans un objectif de qualité et de continuité de soins (notamment dans le cas où la personne ne serait plus capable de les consulter elle-même), découlant directement de la relation d’aide et d’accompagnement de la personne. ».
Le Conseil tient à faire remarquer qu’aider et accompagner une personne en situation de handicap n’autorise pas à se substituer à la personne en situation de handicap pour consulter les données de vaccination. C’est bien la personne en situation de handicap elle-même, accompagnée ou aidée, qui consulte ses données.
Quant au cas où la personne en situation de handicap ne serait plus capable de consulter elle-même ses données, il convient de s’en référer à la législation relative aux personnes protégées, qui, seule peut autoriser une personne tierce à se substituer à la personne protégée.
Le Conseil estime dès lors que la justification apportée pour octroyer un accès aux « professionnels de soins » est inadéquate.
En outre, le Conseil constate que la définition du « professionnel de soins » englobe un grand nombre de personnes qui ne sont en rien des professionnels. Il peut s’agir de particuliers, membres de la famille ou non, qui apportent aides et soins à une personne en situation de handicap. Il peut également s’agir d’un volontaire d’une ASBL dont l’objet est l’aide et l’assistance aux personnes en situation de handicap.
Qualifier des particuliers ou des volontaires de « professionnel » peut être lourd de conséquence. Ainsi, un agent du SPF Finances pourrait considérer les défraiements reçus par un volontaire comme des revenus professionnels, puisque ce volontaire est qualifié de professionnel par un décret régional.
Les représentants de l’AVIQ déclarent que la définition du « professionnel de soins » est reprise d’un protocole d’accord conclu entre l’Etat fédéral et les entités fédérées, et que le décret n’a pas pour vocation de modifier le statut des personnes concernées.
Le protocole d’accord n’a pas été soumis à l’avis du Conseil, ni d’ailleurs d’un autre conseil similaire. S’il l’avait été, la remarque aurait été formulée dès cet instant.
Par ailleurs, il est vrai que l’avant-projet de décret n’a pas pour vocation de modifier le statut des personnes reprises sous le vocable « professionnels de soins », mais rien ne permet d’affirmer qu’il n’aura pas cette conséquence. Il est flagrant que le vocable « professionnel des soins » laisse à tout le moins sous-entendre l’existence d’une activité professionnelle dans le chef des particuliers et volontaires qui apportent aides et soins aux personnes en situation de handicap.
La conséquence pourrait être extrêmement lourde pour les personnes en situation de handicap, puisque les particuliers et volontaires qui leur apportent au quotidien aides et soins pourraient renoncer à le faire afin de ne pas se voir attribuer dans ce cadre une activité professionnelle.
Le Conseil estime dès lors qu’une étude juridique approfondie devrait être menée afin de s’assurer que l’utilisation du vocable « professionnel de soins » ne pourrait en aucune circonstance impacter le statut des particuliers et des volontaires qui apportent aide et soins aux personnes en situation de handicap.
Enfin, le Conseil constate que la notion de « professionnel de soins » n’est pas du tout nécessaire aux finalités de l’avant-projet de décret. Supprimer cette notion n’empêche pas la création d’une base de données vaccinales, et n’empêche pas la récupération des données de vaccination covid.
En conclusion, le Conseil réclame la suppression de la notion de « professionnel de soins ».
L’ACCESSIBILITÉ DES DONNÉES DE VACCINATION.
Le patient a le droit de consulter de manière électronique ses données de vaccination. Il peut également obtenir un certificat de vaccination électronique.
Le patient pouvant être une personne en situation de handicap, la question de l’accessibilité de cette consultation électronique se pose.
Le Conseil est heureux d’apprendre des représentants de l’AVIQ que la plateforme devra se conformer à la norme d'accessibilité WCAG 2.1. C’est un point extrêmement important pour assurer une égalité entre les personnes en situation de handicap et les autres personnes dans l’utilisation des outils numérique.
Cependant, cette solution n’est valable que pour les personnes en situation de handicap ayant accès aux outils numériques. Or, la fracture numérique est une réalité qui touche nombre de personnes, y compris des personnes en situation de handicap. Il convient dès lors de prévoir une procédure non numérique de consultation des données de vaccination, afin que chacun puisse consulter ses données.
A cet égard, consulter ses données de vaccination par l’intermédiaire de son médecin traitant n’est pas une solution acceptable. En effet, l’objectif du droit de consultation accordé au patient est de lui permettre de consulter ses données de vaccination directement, en dehors du contrôle de son médecin traitant. Passer par le médecin traitant créerait donc une discrimination pour les personnes en situation de handicap n’ayant pas accès au numérique.
L’accessibilité ne se limite pas à permettre à chaque personne en situation de handicap de consulter ses données de vaccination. Il faut également veiller à ce que ces données de vaccination soient compréhensibles pour les personnes en situation de handicap.
Sur ce point, le Conseil prend acte du fait que les données récoltées sont alignées sur le careset vaccination de l’INAMI. Il estime cependant que cet alignement ne garantit pas une pleine compréhension des données par les personnes en situation de handicap. A tout le moins, chaque personne en situation de handicap devrait être directement informée des maladies contre lesquelles elle est protégée et de la durée de cette protection.
CONCLUSION
En conclusion, le Conseil partage la volonté du Gouvernement de doter la Région wallonne d’une base de données vaccinales, et le souci de récupérer dans les délais les données de vaccination covid.
Il approuve dès lors l’avant-projet de décret « Vaccicard » moyennant les modifications suivantes :
- Réserver les accès à la base de données exclusivement aux patients, aux médecins, aux infirmiers et aux pharmaciens, et éventuellement à d’autres professionnels des soins de santé moyennant une justification adéquate ;
- Supprimer la notion de professionnel de soins ;
- Améliorer l’accessibilité de la base de données.
Le Conseil encourage également le Gouvernement à entamer des négociations avec les autres entités et avec l’Union européenne, en vue d’une rationalisation de l’enregistrement et de la conservation des données de vaccination en Belgique et dans l’Union européenne.
Jean-Marie HUET
Président