Avis 0043

Publié le 26 août 2025 à 13:45

Avant-projet de décret du (…) modifiant le Code wallon de l’action sociale et de la santé en ce qui concerne le transport non-urgent de patients

 

Mise en Contexte

Le Conseil consultatif wallon des personnes en situation de handicap est consulté par le Gouvernement wallon concernant un avant-projet de décret du (…) modifiant le Code wallon de l’action sociale et de la santé en ce qui concerne le transport non-urgent de patients.

L’avant-projet de décret vise à actualiser les articles du Code wallon de l’Action sociale et de la Santé relatifs au transport médico-sanitaires. Ces articles n’ont jamais été réellement appliqués, faute d’un arrêté d’exécution.

Les changements les plus importants sont :

  • Un changement de vocable : le transport médico-sanitaire devient le transport non-urgent de patients ;
  • Une révision de la définition du transport ;
  • Une demande écrite d’un médecin pour effectuer le transport ;
  • Une programmation ;
  • Une révision de la procédure d’agrément ;
  • Un bordereau de mission ;
  • Une énumération des obligations du prestataire à l’égard du patient ;
  • Une tarification obligatoire ;
  • Une délégation au Gouvernement pour définir les normes à respecter par les prestataires ;
  • Une extension des sanctions applicables.

 

Avis

Philosophie générale du projet

Le Conseil comprend la volonté du Gouvernement de donner un cadre au transport non-urgent de patients, le décret actuel n’étant pas mis en application, faute d’arrêté d’exécution.

Le Conseil s’inquiète cependant par rapport aux nouvelles normes prévues pour les transports en véhicule sanitaire léger, et craint l’établissement d’un monopole au profit de quelques sociétés, au détriment des personnes en situation de handicap.

Actuellement, les personnes en situation de handicap ont diverses possibilités pour se rendre auprès d’un dispensateur de soins, et le recours à un véhicule sanitaire léger est loin d’être la seule option existante. Diverses associations agréées ou non, ainsi que des aides familiales permettent aux personnes en situation de handicap de se déplacer pour bénéficier de soins, souvent pour un coût moindre à celui d’un véhicule sanitaire léger. Le Conseil insiste donc sur le fait que l’utilisation d’un véhicule sanitaire léger doit rester un choix parmi d’autres de la personne en situation de handicap et ne peut en aucune circonstance se transformer en obligation.

Le droit à la mobilité est un droit fondamental de la personne en situation de handicap. Ce droit ne se limite pas à la possibilité de se rendre auprès d’un dispensateur de soins, il comprend tous les déplacements de la vie courante, pour une activité professionnelle, pour des loisirs, pour des visites familiales. Le Conseil ne comprend pas les raisons pour lesquelles le transport vers un médecin devrait obéir à des règles plus strictes qu’un transport vers une autre destination. La situation de handicap de la personne est la même, quelle que soit la destination de son déplacement, et elle ne nécessite pas d’attention ou de protection accrue lorsque le destinataire est un médecin.

Le représentant du cabinet a expliqué que la volonté est de distinguer le transport non-urgent de patients, pour lequel le critère essentiel est désormais la surveillance médicale du patient transporté, des autres transports de personnes, pour lesquels il n’y a pas de surveillance médicale. Dans les faits, une telle distinction aura, entre autres, pour effet d’exclure du transport non urgent de patients des personnes en situation de handicap qui utilisent actuellement ce type de transport sans nécessiter de surveillance médicale. Le projet n’envisage aucune solution alternative pour ces personnes, puisqu’il n’envisage pas la mobilité des personnes en situation de handicap dans sa globalité.

 

Définition de l’ambulance

Actuellement, l’ambulance est définie comme suit : « véhicule aménagé et équipé pour le transport de patient couché ou nécessitant une surveillance médicale dans la cellule sanitaire » (voir art. 680, § 1er, 4° du Code wallon de l’Action sociale et de la Santé). L’ambulance est donc utilisée :

  • Soit pour le transport d’un patient devant être couché ;
  • Soit pour le transport d’un patient nécessitant une surveillance médicale dans la cellule sanitaire ;
  • Soit pour le transport d’un patient devant être couché et nécessitant une surveillance médicale dans la cellule sanitaire.

L’avant-projet de décret modifie cette définition : « véhicule aménagé et équipé pour le transport d’un seul patient couché ou en position assise, dans la cellule sanitaire, et qui nécessite une surveillance permanente à la demande d’un médecin ». Le changement est important, car il limite l’utilisation de l’ambulance aux seules personnes qui nécessitent une surveillance permanente à la demande d’un médecin.

Cette modification revient à exclure un certain nombre de personnes du transport non-urgent de patients. En effet, certaines situations de handicap imposent à la personne d’être transportée en position couchée, sans toutefois nécessiter une surveillance permanente. Ces personnes ne peuvent plus recourir à l’ambulance, vu la nouvelle définition, et ne peuvent utiliser un véhicule sanitaire léger, puisque celui-ci implique une position assise ; ces personnes sont donc exclues purement et simplement du transport non-urgent de patients, et donc de l’accès à des soins de santé, faute de transport adapté.

Le Conseil tient à rappeler que l’accès aux soins de santé est un droit fondamental garanti par la Constitution et par nombre de traités internationaux. Il est inacceptable que des personnes soient privées de ce droit fondamental par une définition restrictive du transport non-urgent de patients par ambulance. Le Conseil exige par conséquent le maintien de la définition actuelle de l’ambulance, et la suppression de la modification de cette définition.

 

Programmation

Le Conseil prend acte du fait que le Gouvernement entend soumettre le transport non-urgent de patients à une programmation. Il s’inquiète d’une disposition transitoire qui fige le nombre d’entreprises de transport non-urgent de patient à la situation actuelle.

Aucune étude n’est fournie sur la couverture géographique du territoire par les entreprises de transport non-urgent de patients, et sur le nombre de personnes qui ont été contraintes d’annuler ou de reporter un rendez-vous médical en raison de l’absence du transport non-urgent de patient.

Pourtant, le Gouvernement décide de figer la situation actuelle, et d’empêcher l’installation d’un nouvel opérateur. Cette décision ne peut se justifier par des raisons budgétaires, puisqu’aucune subvention n’est versée aux entreprises de transport sanitaire, et aucune intervention de la Région ou des organismes assureurs wallons n’est prévue au profit des patients transportés. La seule conséquence de cette décision est de protéger les intérêts des entreprises de transport non-urgent de patients actuellement actives, le cas échéant au détriment des besoins des patients.

Le Conseil demande donc que la future programmation soit établie pour assurer à chaque personne la possibilité de faire appel au transport non-urgent de patient, par une bonne répartition sur l’ensemble du territoire des entreprises actives dans ce secteur, et non pour limiter le nombre d’entreprises de transport non-urgent de patients.

 

Demande écrite d’un médecin

L’avant-projet de décret apporte une restriction importante à l’utilisation du transport non-urgent de patient. Une demande écrite d’un médecin doit désormais être fournie pour obtenir le transport non-urgent de patient.

Pour le Conseil, cette exigence est très problématique et de nature à entraver l’accès aux soins des personnes en situation de handicap. Divers exemples concrets vont permettre d’illustrer de manière non exhaustive ces problèmes.

Le transport non-urgent de patients permet entre autres à une personne en situation de handicap de se rendre chez le dentiste. Le dentiste n’étant pas médecin, il n’a pas la possibilité de demander par écrit le transport non-urgent de ce patient. Cela signifie que la personne en situation de handicap devra s’adresser d’abords à son médecin pour obtenir une demande écrite de transport non urgent de patient avant de se rendre chez son dentiste. Cette situation représente une discrimination pour la personne en situation de handicap, puisque, par rapport à une autre personne, elle doit accomplir des formalités supplémentaires pour se rendre chez le dentiste.

Autre exemple, une personne en situation de handicap doit se rendre pour la première fois chez un nouveau médecin généraliste. Cette personne en situation de handicap n’aura aucune possibilité de recourir à un transport non-urgent de patient, puisque ce nouveau médecin n’acceptera pas de délivrer une demande écrite à une personne qu’il n’a encore jamais rencontrée ni examinée. La personne en situation de handicap se retrouve donc privée du droit à l’accès aux soins.

Le délégué du Gouvernement explique, par rapport à ces exemples, qu’il serait possible de fournir la demande écrite du médecin après le transport. Cette affirmation est en contradiction avec l’objectif affiché de la demande écrite du médecin, soit permettre à l’entreprise de transport non-urgent de patients de déterminer le type de surveillance nécessaire pour le patient transporté. Le Conseil estime qu’il y a là une incohérence qui pourrait être préjudiciable au patient qui demande un transport.

La demande écrite d’un médecin pose également la question du libre choix du patient. Un patient pourrait vouloir une surveillance médicale durant le transport, alors que son médecin estime que cette surveillance n’est pas nécessaire. Un patient, en situation de handicap ou non, doit pouvoir faire appel à un transport non-urgent de patients, même contre l’avis de son médecin. Il convient de souligner que l’exercice de ce droit est financièrement exclusivement à charge du patient, puisqu’aucun remboursement n’est actuellement prévu.

Enfin, le Conseil se pose la question de la charge administrative supplémentaire pour le patient et le médecin, contraints respectivement de solliciter ou de rédiger une demande écrite de transport non-urgent de patients.

Le Conseil estime donc que l’exigence systématique de la demande écrite d’un médecin est excessive, contraire à la liberté de choix du patient. Il demande dès lors que l’obligation soit retirée.

 

Tarification

Le Conseil peut marquer son accord sur une tarification imposée aux entreprises de transport non-urgent de patients. Il ne peut toutefois pas marquer son accord sur une tarification unique applicable à tous sans connaître les modalités concrètes de cette tarification.

Nombre de personnes en situation de handicap connaissent la précarité financière, en raison de l’absence d’un emploi rémunérateur ou des frais importants liés à leur handicap. Il est donc essentiel que la tarification tienne compte des capacités financières de chacun, et que le transport non-urgent de patients reste accessible aux personnes qui connaissent une précarité financière. Le coût du transport non-urgent de patients ne peut être un frein à l’accès aux soins.

Un autre élément doit être souligné. Actuellement, des institutions qui hébergent des personnes en situation de handicap ont conclu des accords de tarif préférentiel avec des entreprises de transport non-urgent de patients. Cela permet à tous leurs résidents de bénéficier d’un tarif préférentiel pour tous leurs déplacements vers des dispensateurs de soins. La tarification doit tenir compte de ces accords conclus, et ne peut aboutir, pour ces résidents, à une majoration du coût du transport non-urgent de patients.

 

Normes des véhicules sanitaires légers

L’avant-projet de décret délègue au Gouvernement le soin de déterminer les normes applicables aux véhicules sanitaires légers.

Le Conseil estime que ces normes doivent prendre en considération toutes les situations de handicap qui permettent à la personne d’être transportée en position assise. Si on peut concevoir que tous les véhicules ne soient pas identiques, il faut néanmoins que chaque entreprise de transport non-urgent de patients dispose en nombre suffisant de véhicules adaptés à chaque type de handicap.

Plus particulièrement, concernant les personnes à mobilité réduite, il est indispensable de prévoir en nombre suffisant des véhicules pouvant accueillir une personne en chaise roulante, en ce compris les personnes en voiturette électrique.

Il serait inconcevable que des personnes en situation de handicap soient exclues du transport non-urgent de patient parce qu’aucun véhicule ne serait adapté à leur handicap.

Le Conseil estime donc que les futures normes des véhicules sanitaires légers doivent être négociées avec les associations spécialisées dans les questions d’accessibilité des transports pour les personnes en situation de handicap.

 

Sanctions

L’avant-projet de décret ajoute deux infractions nouvelles :

  • Le transport de plus d’un patient en ambulance ;
  • Le transport en véhicule sanitaire léger d’un patient qui nécessite une surveillance permanente.

Ces deux infractions devraient être punies d’une amende administrative de 10.000 €. Le Conseil constate toutefois que le montant de l’amende administrative est prévu dans le commentaire des articles, mais ne figure pas dans l’avant-projet de décret lui-même. Il convient de remédier à cette lacune.

La seconde infraction, le transport en véhicule sanitaire léger d’un patient qui nécessite une surveillance permanente, pose question. Quelle est la responsabilité personnelle d’une personne en situation de handicap qui accepte d’être transportée en véhicule sanitaire léger, alors que son médecin avait recommandé une surveillance permanente ? Peut-elle signer le cas échéant une décharge ?

Plus fondamentalement, la législation relative aux droits du patient consacre le droit pour le patient d’accepter ou de refuser tout traitement. Cela comprend le droit de refuser une surveillance permanente. Une personne en situation de handicap pourrait vouloir être transportée en véhicule sanitaire léger contre l’avis de son médecin qui recommande une surveillance permanente. L’amende administrative de 10.000 € dissuadera toute entreprise de transport non-urgent de patients d’accepter de transporter cette personne en situation de handicap. L’amende administrative porte donc ici atteinte au droit du patient, en l’occurrence ici la personne en situation de handicap, de refuser la surveillance permanente.

Le Conseil recommande dès lors de revoir la formulation de l’infraction afin de ne viser que les cas où le transport par véhicule sanitaire léger est imposé au patient contre sa volonté et contre la demande de surveillance permanente formulée par un médecin.

 

Conclusion

En conclusion, le Conseil approuve la volonté du Gouvernement de légiférer sur le transport non-urgent de patients.

Le Conseil regrette que le projet soit envisagé exclusivement sur l’aspect matériel du transport, et pas sous les aspects plus généraux de la mobilité de personnes en situation de handicap, et du droit à l’accès aux soins pour les personnes en situation de handicap.

Le Conseil recommande donc une révision en profondeur de l’avant-projet de décret et de sa philosophie conformément aux remarques formulées dans le présent avis.

Le Conseil propose également qu’une évaluation soit réalisée sur l’impact de ce nouveau projet sur les utilisateurs. Ceux-ci doivent pouvoir donner directement leurs avis. Cette évaluation pourrait alors quantifier les listes d’attente et les besoins du terrain.

Il insiste enfin pour qu’une réflexion plus globale soit menée sur la mobilité et l’accès aux soins de santé pour personnes en situation de handicap, thèmes où le transport non-urgent de patients ne représente qu’un volet parmi bien d’autres.