Avis 0048

Publié le 4 novembre 2025 à 09:13

Avant-projet de décret-programme budgétaire du … portant des mesures diverses pour les matières réglées en vertu de l’article 138 de la Constitution.

 

Mise en contexte générale

Le Conseil consultatif wallon des personnes en situation de handicap est consulté en urgence par le Cabinet du Ministre COPPIETERS concernant un avant-projet de décret-programme budgétaire portant des mesures diverses pour les matières réglées en vertu de l’article 138 de la Constitution.

L’avant-projet de décret-programme portant des mesures diverses pour les matières réglées en vertu de l’article 138 de la Constitution reprend des dispositions concernant diverses matières, dont certaines seulement concernent les personnes en situation de handicap.

Compte-tenu de l’urgence, le Conseil remet le présent avis sans nécessairement avoir eu le temps d’analyser en détail l’impact des diverses dispositions envisagées. Il se réserve dès lors la possibilité de revenir ultérieurement par un avis d’initiative sur l’une ou l’autre des modifications envisagées.

 

Avis

Les centres d’insertion socioprofessionnelle (CISP).

Le Conseil constate que les modifications envisagées étaient déjà pour l’essentiel contenues dans l’avant-projet de décret-programme portant des mesures diverses pour les matières réglées en vertu de l’article 138 de la Constitution, qui avait fait l’objet de son avis n° 44 du 26 août 2025. Le Conseil souhaite dès lors, sur ce point, rappeler l’avis émis à l’époque.

L’avant-projet de décret-programme propose diverses modifications au décret du 10 juillet 2013 relatif aux centres d'insertion socioprofessionnelle. Certaines de ces modifications concernent le transfert de centres de filières de formation.

Les centres d’insertion socioprofessionnelle, plus connus sous le nom CISP sont des organismes agréés chargés d’organiser des filières de formation en vue de faciliter l’insertion socio-professionnelle des stagiaires qui suivent ces filières. Certaines personnes en situation de handicap peuvent devenir stagiaire (reconnaissance par l’AVIQ, victimes d’un accident du travail, victimes d’une maladie professionnelle, incapacité permanente reconnue de 33 % au moins, bénéficiaire d’une allocation aux personnes handicapées, etc…).

Jusqu’à présent, le transfert d’une ou plusieurs filières de formation d’un CISP cédant vers un autre CISP repreneur nécessitait une autorisation du Gouvernement, après avis de la Commission consultative des centres d'insertion socioprofessionnelle, instituée au sein du Conseil économique, social et environnemental de la Wallonie. L’avant-projet de décret-programme supprime cet avis préalable de la Commission consultative des centres d’insertion socioprofessionnelle.

Le Conseil ne voit pas d’objection majeure à la suppression de cette commission. Il tient toutefois à attirer l’attention du Gouvernement sur le fait que le transfert d’une filière ne peut aboutir à l’exclusion des stagiaires en situation de handicap qui bénéficiaient de cette filière. Il est dès lors indispensable que le CISP repreneur soit géographiquement proche du CISP cédant, et qu’il bénéficie de conditions d’accessibilité au moins similaires à celles du cédant. Par conditions d’accessibilité, il faut ici entendre non seulement l’accessibilité du bâtiment du CISP repreneur, mais également l’accessibilité de l’environnement de ce bâtiment, et l’accessibilité des transports publics vers ce bâtiment. En outre, si des aménagements spécifiques avaient été mis en place par le CISP cédant au profit des stagiaires en situation de handicap, ces aménagements spécifiques doivent également être transférés vers le CISP repreneur ou transposés par celui-ci.

 

Le supplément aux allocations familiales

Les enfants en situation de handicap bénéficient d’un supplément d’allocations familiales. Ce supplément est accordé sans condition, autre que la reconnaissance et l’évaluation du handicap, jusque l’âge de 21 ans.

L’âge pour bénéficier de l’allocation de remplacement de revenu (ARR) ou de l’allocation d’intégration (AI) a été abaissé en 2020 de 21 ans à 18 ans. Il s’agit d’une mesure adoptée par l’Etat fédéral.

Pour les jeunes en situation de handicap âgés de 18 à 21 ans, il pourrait donc y avoir un « cumul » entre le supplément d’allocations familiales et l’ARR ou l’AI.

L’avant-projet de décret-programme supprime ce « cumul » : le paiement du supplément d’allocations familiales est suspendu les mois pour lesquels il y a perception d’une ARR ou d’une AI. Un arrêté du Gouvernement wallon doit préciser les modalités de cette suspension.

Le Conseil comprend cette mesure, qui vise à tenir compte, même tardivement, d’une modification de la législation fédérale. Le Conseil comprend également que cette mesure aura un impact budgétaire favorable pour les finances régionales, mais regrette néanmoins que le paiement d’un supplément d’allocations familiales ne puisse plus être considéré comme un droit distinct indépendant de la perception d’une ARR ou d’une AI.

Le Conseil est satisfait du fait que seul le paiement du supplément d’allocations familiales soit suspendu. Le droit à ce supplément reste pleinement acquis, ce qui signifie que le jeune de moins de 21 ans qui aurait perçu une ARR ou une AI ne devra pas réeffectuer toutes les démarches pour obtenir le supplément d’allocations familiales si la perception de l’ARR ou de l’AI prend fin. Cette manière d’envisager la suspension est donc avantageuse pour les jeunes en situation de handicap.

Le Conseil est également très satisfait de la mesure transitoire prévue à l’article 121/1 en projet. Cette mesure transitoire permet aux jeunes qui, actuellement, bénéficient à la fois du paiement du supplément d’allocations familiales et de la perception d’une ARR ou d’une AI de conserver ce « cumul ». Autrement dit, l’entrée en vigueur de la suspension du paiement du supplément d’allocations familiales ne leur sera pas applicable, de sorte qu’ils ne subiront aucune perte financière.

Les commentaires joints à l’avant-projet de décret-programme mentionnent le choix de la situation la plus avantageuse pour le jeune en situation de handicap :

  • Si la perception de l’ARR ou de l’AI est plus avantageuse que le paiement du supplément d’allocations familiales, alors le paiement du supplément d’allocations familiales est suspendu
  • Si le paiement du supplément d’allocations familiales est plus avantageux que la perception de l’ARR ou de l’AI, alors le supplément d’allocations familiales serait maintenu.

Le Conseil ne retrouve pas ce choix de la situation la plus avantageuse dans le texte de l’avant-projet de décret ; il suppose que ce choix figurerait dans les modalités de suspension que doit élaborer le Gouvernement. Le délégué du Gouvernement précise que, pour les autres entités, le SPF sécurité sociale informe les personnes concernées qu’elles peuvent renoncer à l’ARR ou à l’AI si le supplément d’allocations familiales est plus avantageux pour elles. Si ce mécanisme devait être transposé pour la Région wallonne, le Conseil insiste pour que cette mesure soit sans incidence pour la personne en situation de handicap concernée : elle ne peut aucunement se retrouver à devoir rembourser des arriérés pour un trop perçu en raison de la durée des procédures administratives.

Le Conseil tient également à souligner que la charge administrative de la personne en situation de handicap doit être la plus légère possible. A cet égard, renoncer à l’ARR ou à l’AI pourrait être lourd de conséquence, puisqu’il faudrait refaire ultérieurement toutes les démarches pour récupérer ce droit. Il serait préférable de suspendre la perception de l’ARR ou de l’AI, plutôt que de demander une renonciation à ceux-ci. Le paiement de l’ARR ou l’AI sera ainsi automatiquement réactivé lorsque la personne atteint ses 21 ans.

Le Conseil demande l’alternative suivante : voir directement dans le décret que le paiement du supplément d’allocations familiales n’est suspendu qu’à concurrence du montant perçu de l’ARR ou de l’AI ; une telle formulation garantirait au jeune en situation de handicap au moins la perception d’un montant équivalent à celui du supplément d’allocations familiales auquel il a droit.

Le Conseil tient aussi à attirer l’attention sur la nécessité d’une bonne communication et d’une information adéquate et accessible envers les jeunes en situation de handicap. Ils doivent pouvoir connaître les conséquences d’une éventuelle demande d’ARR ou d’AI sur leur supplément d’allocations familiales.

Vu l’urgence demandée pour remettre l’avis, le Conseil n’a pas pu examiner l’impact des modifications proposées sur les droits dérivés. Le Conseil insiste sur la nécessité d’une neutralité complète des modifications vis-à-vis des droits dérivés liés aux suppléments d’allocations familiales et aux ARR ou AI.

Enfin, le Conseil estime que ce changement nécessite une évaluation du nouveau dispositif mis en place pour fin 2026, afin de s’assurer qu’il n’y a pas d’impact négatif pour les personnes en situation de handicap et leur famille.

 

Allocation pour l’aide aux personnes âgées (APA).

L’avant-projet de décret-programme modifie l’âge minimal pour bénéficier de l’APA. Cet âge passe de 65 à 67 ans. La modification doit entrer en vigueur à une date déterminée par le Gouvernement.

Il est essentiel que toute personne en situation de handicap puisse continuer à bénéficier d’une aide lorsqu’elle prend sa retraite. On ne peut accepter une « période creuse », durant laquelle la personne en situation de handicap n’aurait droit à aucune aide : les aides destinés aux actifs s’arrêtent du fait de la retraite, et l’APA ne pourrait pas être accordé, l’âge minimal requis n’étant pas encore atteint. Reporter à 67 ans l’âge minimal pour bénéficier de l’APA risque de créer une telle « période creuse », vu entre autres les incertitudes actuelles sur l’évolution de l’âge légal de la pension.

Fixer l’âge minimal requis à 67 ans ne tient également pas compte de la possibilité annoncée de prendre sa retraite à 65 ans sur base d’une carrière longue, ou avec un malus sur base d’une carrière incomplète. L’âge de 67 ans ne tient pas non plus compte des régimes particuliers de pension.

Le Conseil prend acte du fait que le délégué du Gouvernement l’a informé que l’âge de 67 ans serait remplacé dans le texte par l’âge légal de la retraite. Il considère qu’une référence à l’âge légal de la retraite, plutôt qu’à un âge fixe déterminé, permet d’une part d’éviter une « période creuse » et d’autre part de tenir compte de tous les régimes de retraite et de l’évolution de ceux-ci.

Le Conseil insiste sur le fait que l’entrée en vigueur de la mesure est lié à l’entrée en vigueur de la réformes des durées d’octroi des allocations ARR et AI au niveau fédéral, où il est prévu de les prolonger jusqu’à l’âge légal de la retraite.

Le Conseil constate aussi l’absence d’une disposition transitoire. Une personne qui, sur base de la législation actuelle, a obtenu l’APA, parce qu’elle a atteint l’âge de 65 ans, pourrait perdre cet APA lors de l’entrée en vigueur de la nouvelle législation parce qu’elle n’aurait pas atteint le nouvel âge légal de la retraite. Il est indispensable de prévoir qu’en cas de modification de l’âge minimal requis, les personnes qui bénéficient de l’APA en conservent le bénéfice même si elles n’ont pas atteint le nouvel âge minimal requis. En d’autres termes, le nouvel âge minimal requis ne peut s’appliquer qu’aux nouvelles demandes.

Enfin, le Conseil tient à rappeler que divers droits et avantages sont liés à l’octroi de l’APA. Le report de l’âge minimal pour demander l’APA entraîne l’impossibilité de pouvoir bénéficier de ces droits et avantages dès 65 ans. Le Conseil s’interroge sur le respect du principe du standstill par rapport à ces droits et avantages.

 

Indexation des allocations et subventions

De nombreuses allocations et subventions régionales sont indexées conformément aux règles déterminées par la législation fédérale.

Depuis juillet 2025, la législation fédérale prévoit que l’indexation intervient trois mois après le dépassement de l’indice-pivot, alors qu’auparavant l’indexation intervenait un ou deux mois après ce dépassement, en fonction de la nature du montant à indexer.

L’avant-projet de décret-programme propose de maintenir l’ancien délai d’indexation pour certaines subventions et certains tarifs maximum applicables.

Le Conseil est favorable à cette mesure, qui permet de tenir compte au plus vite de l’évolution des prix et de l’inflation. Il regrette toutefois que cette mesure ne soit limitée qu’à certains secteurs et à certains montants. Pour le Conseil, la mesure devrait être étendue à toutes les allocations sociales indexées, y compris les allocations familiales et leurs suppléments, à toutes les subventions indexées, et plus généralement à tous montants indexés dans les limites des compétences santé, handicap et sociales régionales.

 

Conclusion

 

En conclusion, le Conseil approuve les dispositions de l’avant-projet décret-programme qu’il a examinées, moyennant la prise en considération des remarques, points d’attention et demandes de précisions reprises dans le présent avis :

  • La prise en considération des personnes en situation de handicap pour tout transfert de filières d’un CISP vers un autre CISP ;
  • La garantie du maintien du paiement du supplément d’allocations familiales s’il est plus avantageux, lors de la perception d’un ARR ou d’un AI ;
  • L’information adéquate et accessible sur les conséquences d’une demande d’ARR ou d’AI ;
  • Le remplacement, pour l’APA, de l’âge de 67 ans, par l’âge légal de la retraite ;
  • L’adoption d’une mesure transitoire pour éviter toute perte d’APA ;
  • L’extension du maintien des anciennes règles d’indexation à l’ensemble des dispositifs régionaux du secteur santé, handicap et social.